Jean-Honoré Fragonard, L’Oiseau chéri, vers 1785
Depuis son ouverture en 2011, le Musée Jean-Honoré Fragonard, qui vivait au rythme de ses expositions temporaires, avait conservé la même scénographie dans les salles dédiées à la présentation des collections permanentes. De très récentes acquisitions font aujourd’hui leur entrée et donnent l’occasion de repenser le parcours muséal.
DEUX FRAGONARD INÉDITS DONT L’UNE DE SES COMPOSITIONS LES PLUS « REMBRANESQUES »
Acquis il y a quelques mois, cet éblouissant petit Portrait d’enfant, inédit, de Jean-Honoré Fragonard est désormais accroché aux côtés d’un tableautin de Marguerite Gérard, réalisé à la même date, alors que les deux artistes travaillaient parfois côte à côte sur le même sujet, chacun affirmant sa propre identité artistique. Chez Fragonard, le même bambin réapparaît dans un tableautin conservé au Spencer Museum of Art de l’université du Kansas, mais surtout dans l’une des plus surprenantes découvertes de ces dernières années.
La réapparition il y a quelques mois de L’Oiseau chéri fut une très belle surprise et permet, selon Carole Blumenfeld et Jean-Pierre Cuzin, de lever les doutes sur une éventuelle collaboration avec Marguerite Gérard. Les effets de clair-obscur sur l’enfant et le visage incliné de la mère rappellent en effet la lumière rembranesque du Verrou. Selon la description de l’œuvre lors de la saisie des biens de Duruey et la gravure, Marguerite Gérard s’inspira de L’Oiseau chéri mais modifia la position de l’enfant et de plusieurs éléments du décor. Chez Fragonard, la circulation des figures dans l’espace leur donne une amplitude réelle et elles paraissent sculptées comme des rondes-bosses. Le groupe semble en effet tournoyer sur lui-même. À l’inverse, dans Les Premières Caresses du jour de Marguerite Gérard, véritable bas-relief, la femme et le bambin se fondent dans le décor. |
Jean-Honoré Fragonard Portrait d’enfant 1786-1788 |
Au-delà de ces aspects plastiques, les deux artistes se distinguent par deux conceptions des scènes familiales. Baigné dans les jeux délicats de lumière et peint tout en rondeurs, le bambin qui regarde les « oiseaux chéris » cache même le visage de la jeune femme. Chez Marguerite Gérard, le protagoniste est toujours la mère. Elle ne peint pas un « enfant roi », tandis que Fragonard lui donne toujours la place de choix. La remarquable restauration d’Isabelle Leegenhoek a débarrassé l’œuvre des épaisses couches de vernis qui en entravaient la lecture, et la couche picturale reparaît aujourd’hui dans tout son éclat.